Comme chaque année depuis 2015, Solidaris a interrogé plus de 1000 personnes concernant le report de soins de santé pour raisons financières. Les constats sont sans appel : en Wallonie et à Bruxelles plus de 4 personnes sur 10 sont concernées et on atteint des niveaux intolérables dans certaines couches de la population.

Alors que les années précédentes (2020, 2021 et 2022) ont montré une amélioration, le renoncement aux soins de santé pour des raisons financières a augmenté en 2023. En effet, 44% des Belges francophones ont déclaré avoir renoncé à au moins un des six types de soins audités. Bien que cette proportion soit inférieure à celle de 2019, où près d’une personne sur deux avait renoncé à des soins, elle demeure nettement plus élevée que le taux de 32% mesuré en 2015. A noter aussi que cette tendance d’aggravation concerne toutes les disciplines interrogées et se répartit irrégulièrement au sein de la population, traduisant à la fois l’existence d’inégalités sociales en matière de renoncement financier mais aussi une précarisation constante des profils les plus touchés.

Au niveau des spécialités, le dentaire (25%) continue d’être la prestation de santé la plus touchée par le renoncement financier, indifféremment du type de profil envisagé. A l’inverse, le généraliste (12%) est presque systématiquement la prestation avec les plus faibles taux de renoncement. En termes d’évolution, toutefois, les spécialistes (23%) et les médicaments (20%) accusent les augmentations les plus fortes sur 8 ans, respectivement 9 et 7 points.

L’analyse par profil montre que :

  • Les personnes âgées/pensionnées connaissent une très forte hausse du renoncement en 2023 (de 27% en 2022 à 40% en 2023). Historiquement « épargnés » par le renoncement (15% en 2015), les seniors rejoignent, voire dépassent dans certains cas, les plus jeunes.
  • Le groupe social des plus précaires continue d’être le plus touché par le renoncement (62%). Et c’est particulièrement le cas pour l’optique (35%), les médicaments (35%), le dentiste (33%) et le spécialiste (31%). L’écart entre aisés et précaires est particulièrement élevé sur les soins en optique et dans les médicaments prescrits.
  • Les inégalités de genre persistent : une femme sur deux déclare avoir dû renoncer à au moins un soin pour des raisons financières, contre 38% des hommes. C’est en matière de santé mentale que l’écart est le plus marqué (9 points).
  • Les inégalités de genre se retrouvent également dans la précarisation constante des familles monoparentales (dont 80% des ménages sont des femmes). En 2023, près de sept familles monoparentales sur dix déclaraient avoir dû renoncer à au moins un soin au cours de l’année 2023.
  • Enfin, l’état de santé général est un facteur décisif du renoncement au soin. Alors que par définition leur besoin en soins est avéré, près de huit personnes en incapacité de travail sur dix déclarent avoir dû renoncer à au moins un soin pour des raisons financières.

Face à ces constats, Solidaris préconise une batterie de mesures qui permettraient de garantir une accessibilité financière aux soins de santé pour tous.

    1. Lever tous les obstacles financiers aux soins de base en première ligne en :
      • remboursant totalement les consultations chez le médecin généraliste et les soins bucco-dentaires de base ;
      • instaurant le tiers-payant obligatoire généralisé à tous les patients et tous les soins de santé ambulatoires (médecins, dentistes, kinés, logopèdes, infirmiers).
    2. Renforcer la protection financière des publics précarisés et plus vulnérables sur le plan de la santé notamment en :
      • automatisant l’octroi du statut BIM  et en majorant de 10% les plafonds de revenus pour bénéficier du BIM ;
      • en élargissant l’interdiction des suppléments d’honoraires pour les BIM aux soins hospitaliers ;
      • en renforçant le mécanisme du maximum à facturer pour les malades chroniques et les patients souffrant de problèmes de santé mentale ;
      • en développant davantage de maisons médicales au forfait et en élargissant la pratique multidisciplinaire aux psychologues cliniciens et aux dentistes.
    3. Augmenter le remboursement des soins insuffisamment couverts par l’assurance maladie en :
      • supprimant les limites imposées au nombre de séances remboursées de psychologues de première ligne la première année du traitement et gratuité des séances jusque 23 ans ;
      • élargissant à davantage de patients les remboursements des lunettes, des appareils auditifs et de certains soins dentaires en abaissant les seuils (niveau de dioptrie, niveau d’audition) et  en supprimant progressivement les limites d’âge pour les soins bucco-dentaires à partir desquels l’assurance maladie intervient.
    4. Adopter une protection renforcée contre les suppléments d’honoraires en :
      • instaurant un « bouclier tarifaire » plafonnant les suppléments d’honoraires pour les soins en ambulatoire lorsque le taux de conventionnement est trop faible ;
      • interdisant les suppléments d’honoraires pour les spécialités pour lesquelles le patient ne choisit pas son médecin (radiothérapie, imagerie médicale, biologie clinique) ;
      • imposant la remise d’un devis standard au patient pour une série d’interventions courantes à l’hôpital. Ce devis doit faire office d’engagement du prestataire de soins/gestionnaire à ne pas dépasser le prix renseigné.

Pour le Secrétaire général de Solidaris, Jean-Pascal Labille, le constat est clair :

« Le renoncement aux soins pour des raisons financières demeure une réalité préoccupante. Face aux inégalités grandissantes, il est grand temps de mettre en place des mesures concrètes. Se soigner ne doit plus être un privilège réservé à certains, mais un droit fondamental accessible à tous, sans distinction de revenu ou de statut social. »

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